Du celte au saintongeais
La France, avant même de s’appeler France, était un territoire occupé par une multitude de peuplades plus diverses les unes que les autres et aux origines extrêmement variées. Jules César, le célèbre empereur romain, ne s’est pas encombré de considérations, pour lui, inutiles, et a baptisé tout ça « les Gaulois ». Ainsi notre pays était devenu La Gaule. La Pax Romana installée, c’est pendant près de quatre cents ans que se développera une civilisation gallo-romaine.
Partant d’un substrat linguistique de base, comme le celte par exemple, le latin, langue de l’occupant, imposa ses marques. Il se transforma en ce que les linguistes appellent le latin vulgaire. Il n’effaça pas totalement le substrat originel, mais le digéra en quelque sorte.
Après les Romains, viendront d’autres envahisseurs qui influenceront les idiomes locaux, sans toutefois les transformer véritablement, tout au plus, apporteront-ils du vocabulaire nouveau.
Les francs, s’imposant sur tout le territoire, marqueront durablement les parlers, et deux grands ensembles linguistiques vont se distinguer, selon les deux grandes ethnies dominantes occupant le territoire, les Celtes au nord, les Vascons au sud. Cette séparation est presque caricaturale par sa simplicité, mais il est de fait que les deux grands ensembles précités vont se constituer selon leur façon de dire oui, avec « oy» au nord de la Garonne, et « oc » au sud. De là seront distinguées les langues d’oïl et les langues d’oc.
La France d’alors n’est pas encore la France, mais le Royaume des Francs. Le nom de France n'est employé de façon officielle qu'à partir de 1190 environ, quand la chancellerie du roi Philippe Auguste commence à employer le terme de Rex Franciæ (Roi de France) à la place de Rex Francorum (Roi des Francs) pour désigner le souverain.
C’est alors une mosaïque de régions plus ou moins grandes ayant leurs propres parlers, leurs patois diront certains, leurs langues régionales diront d’autres. L’un d’entre eux est le patois de l’Île-de-France et de Paris. Ce n’est qu’en 1539, par l’ordonnance de Villers-Cotterêts, que le moyen français, langue maternelle des dynasties capétiennes, devient une langue juridique et administrative en France. En 1794, par le décret révolutionnaire du 2 thermidor an II et malgré le fait qu'elle ait été, sous l'Ancien Régime, la langue des cours royales et princières européennes, le français classique, langue des Lumières, devient la seule langue officielle de la Première République française.
Le français s’impose donc, sur notre territoire, par le droit d’abord, devenant la langue des juristes et notamment des notaires dans nos campagnes, puis par les baïonnettes après la Révolution Française, enfin avec les instituteurs de la troisième République nommés dès lors, les hussards de la république.
Les dirigeants successifs avaient la volonté de faire disparaître les langues régionales, et il s’en est fallu de peu pour que ça réussisse.
Les patois que parlaient nos ancêtres ont eu bien des difficultés à résister aux coups de boutoir de ces hussards de la république. Combien d’élèves ont-ils subi l’humiliation du coin avec le bonnet d’âne, quand ce n’était pas tout simplement le bâton, pour avoir utilisé une expression patoise ?
Pour la plupart, ces parlers s’exprimaient oralement et très peu à l’écrit. Ce sont donc les paysans, la population la plus nombreuse dans nos campagnes d’alors, qui ont su garder cette richesse culturelle.
Certes, il y a aussi les régions à forte identité culturelle, qui ont su préserver leur langue et la défendent encore coûte que coûte. On pense bien évidemment à l’Alsace, la Bretagne, La Corse, le Pays Basque, la Provence.
Les autres ne sont plus que des traces, des souvenirs, le flamand n’est plus guère parlé, le ch’timi n’est plus qu’un français déformé, le gallo n’est pratiqué par encore quelques anciens et quelques érudits locaux, du platt ne reste plus que l’accent lorrain… Triste constat.
Et pourtant, ce qui fait la richesse de la langue française, c’est bien tous les apports des langues régionales, sans oublier les apports des créoles outre-marins et des langues des anciens pays colonisés.
C’est ce que semblaient avoir compris quelques politiciens qui sous l’égide du Ministère de la Culture ont entrepris l’inventaire et la reconnaissance des « Langues de France » dans la décennie 2000. A cette occasion, le saintongeais était reconnu Langue de France en 2007 (cf annexe 1).
Heureusement, il existe aussi les modes culturelles. Après les évènements du Larzac, on se souvient encore du slogan « garderem lou Larzac », la mode est à l’enseignement de l’Occitan. Pas un lycée du sud qui ne sera atteint par la fièvre occitane. Et bien que ce soit une vue de l’esprit de quelques universitaires, la langue occitanen’existe pas vraiment, contrairement aux langues occitanes qui elles, existent bel et bien. On pense au provençal, au niçard, au gascon, au béarnais, à l’auvergnat, au périgourdin, etc. Il n’empêche que ce focus sur l’occitan a permis de mettre en valeur les langues occitanes et les cultures occitanes, et leur insuffler un dynamisme nouveau.
Dans l’ouest, dans un ensemble linguistique que certains nomment ensemble linguistique poitevin-saintongeais, se distingue encore nettement la langue saintongeaise, que les habitants chauvins de Charente et de Charente-Maritime appellent le charentais, oubliant le sud de la Vendée et des Deux-Sèvres, la bordure limousine et périgourdine, le nord de la Gironde et les enclaves du Médoc et de Monségur. Dans ce cas, tirée de la tradition orale par les bardes saintongeais, elle a survécu et trouvé un nouveau dynamisme grâce aux spectacles en patois, aux groupes folkloriques, à quelques journaux en parler local, plus récemment aux concerts et aux disques d’un groupe musical qui se qualifie lui-même de groupe celtorock charentais.
Le patois saintongeais est une expression un peu trompeuse. On pourrait parler des variétés de patois saintongeais, même si aujourd’hui, on tend vers une uniformisation. Autour de caractères communs apparaissent encore des variations en fonction des lieux, variations qui s’estompent tant l’utilisation des médias modernes rabote à loisir les particularités locales.
Comme le faisait remarquer Doussinet, si le saintongeais n’est que patois et plus dialecte, ce qui suppose l’existence d’une certaine autonomie politique et économique, doit-on demander l’autonomie de la Saintonge ?
Plaisanterie mise à part, c’est avant tout un besoin de reconnaissance culturelle qui se fait jour chez les jeunes générations, et c’est ce qui, peut-être, rendra au patois son rang de dialecte.
Les origines
Les santons, peuple qui donna son nom à la Saintonge, étaient installés sur le territoire des départements charentais et sur le nord de la Gironde. On a supposé un temps qu’ils étaient issus des Helvètes, alors qu’en fait, ces deux peuples distincts n’étaient parfois qu’alliés au gré des guerres. Plus vraisemblablement, les santons sont issus de peuplades du Néolithique existant déjà dans cette région.
Avant l’arrivée des légions romaines, le celte est bien le socle linguistique à partir duquel s’est construite la langue saintongeaise. On y retrouve des mots dont l’origine celtique ne fait aucun doute. Le bran, le son qu’on retrouve dans l’expression bien connue : feîre l’âne peur avoér dau bran. La bourgne, la nasse, est un mot qu’on entend toujours au bord de l’Estuaire, dans les marais et sur les rives des rivières saintongeaises. Le chail, le caillou, la chaume, le plateau dénudé ; la combe, la vallée sèche ; la grave, le gravier ; l’ouche, le clos attenant à la maison ; la varenne, la terre d’alluvion ; la rée, le sillon ; le vargne, l’aulne ; la bourde, l’étai ; le dail, la faux ; le mulon, la meule ; la groie, terrain caillouteux ; et d’autres encore qui marquent l’origine gauloise du socle. Finalement, comme le remarquait Doussinet, c’est assez peu si l’on songe que le celte, le gaulois, a été parlé par chez nous jusqu’au Vème siècle apr. J.-C..
La plus grosse source originelle, c’est le latin, qui noya véritablement tout le vocabulaire celtique. C’est d’abord l’occupant militaire qui apporte le latin, puis l’occupation pendant près de quatre cents ans par l’administration romaine et les nobles romains, qui vont faire s’imposer le latin vulgaire. Ainsi le peuplier prend le nom de popion venant du latin populus, biber de bibere, boire ; l’arentelle de araneae tela, la toile d’araignée des Latins ; le vime de vimen, l’osier.
Il semble d’après certains linguistes, qu’une des particularités des langues du centre ouest, saintongeais et poitevin, c’est une évolution phonétique à partir du latin, et qu’on ne retrouve pas dans d’autres langues proches comme le gallo, l’angevin ou le tourangeau. Par exemple, ale, pale, échale, en saintongeais et gabaye, du latin ala, pala, scala qui donne aile, pelle, échelle en français..On pourrait citer à loisir d’autres exemples comme le p latin qui devient b en saintongeais et gabaye, alors qu’il fait v en français, la syllabe al en latin devient au en saintongeais et gabaye alors qu’elle devient ieu, el, é ou tout autre chose en français.Le c latin séparant deux syllabes, devient jh en saintongeais et gabaye, alors qu’il devient y, ie ou tout autre chose en français
Après la christianisation de la Saintonge, par Eutrope, l’évêque canonisé en Saint Eutrope, la latinisation continue par la liturgie. Abeurnontio, Beurnotion, expression du dégoût, a ses origines dans la formule latine d’abjuration, Ab renuntio.Olé pas mirâbus, de mirabilis, admirable. Asperez in p’tit misère, attendez le temps de dire « Miserere mei, Deus »
On pourrait continuer longtemps ainsi.
Il y a bien évidemment des apports des langues d’oc environnantes, et sans doute de peuplements passagers de populations méridionales. Les noms de villages en -ade ou en -ac en sont des témoignages, ainsi que des mots communs comme l’aigail, la rosée, la boéne, la baïne, et la célèbre monjhette, le haricot.
À partir du Moyen-Âge, le fond linguistique du saintongeais va être l’ancien français, et il n’est pas surprenant de trouver des mots ou expressions similaires dans le saintongeais et les écrits de Rabelais ou de Villon par exemple. Le sin, la cloche, et toquer le sin qui donnera au français moderne « sonner le tocsin ».. Comme Rabelais, on ouillera les barriques en s’éclairant à l’aide du chaleuil. On sera enfondut, trempé, avec Villon.
Les termes de l’ancien français conservé dans notre parlure sont très nombreux et bien des expressions patoisantes en sont pourvues, comme dans les exemples suivants :
- Tenî la brunette, tenir les cordons du poêle ;
- O ne peut choler, Peu importe ! (de chaloir) ;
- Tâte si le nâ te crôle, de croler, remuer, pour tancer l’impertinent ;
- I qu’neut les eites, il connaît bien la maison, les dépendances et les abords, de l’ancien français estres ;
- Aller à la veurmée, aller à la pêche avec des vers en pelote et sans hameçon, dans le Pays Gabaye, aller à la pêche au toque.
- Agare ! Vous voyez, n’est-ce pas ! De l’ancien français agarer, regarder.
- Grande ure ! Cri de joie, de eüre, bonheur.
Pour d’autres exemples, je renvoie le lecteur à la bibliographie.
Si par la suite, il y a bien eu d’autres apports, de l’anglo-saxon par exemple, ils demeurent mineurs. L’évolution de la langue saintongeaise par la suite sera due à des transformations de l’existant. C’est la création de mots composés, l’ajout de préfixes et de suffixes, etc. Puis viendront les apports du français moderne, mais c’est une autre histoire.