Une langue assourdie.
Dans l'ensemble, le saintongeais se parle de manière sourde et monotone, lentement et simplement, contrairement, aux parlers plus méridionaux. En fait, le ton de la voix, l'attitude, les gestes et les changements de physionomie ont leur importance, plus que les inflexions. Malheureusement, une grammaire décrivant cette façon de s'exprimer n'existe pas. À noter que le parler gabaye accentue l’expression traînante.
Enfin, le gabaye roule légèrement les r.
Les sons caractéristiques.
Le jh saintongeais
On l’a abordé précédemment dans le tableau n°2. Raymond DOUSSINET le qualifiait de schibboleth saintongeais, par référence à la légende de la reconnaissance des fuyards d'Ephraïm (Juge, XII, 5-6): les éphraïmites qui prononçaient correctement schibboleth avaient la vie sauve, les autres, qui prononçaient sibboleth, ne pouvaient du fait de leurs origines prononcer correctement le sch, étaient égorgés.
Le j saintongeais, noté jh, est un j fortement aspiré. Les linguistes parlent de spirante palatale (vous remarquerez que cette aspiration est en fait une expiration, à moins que ce ne soit une aspiration de l'extérieur?). C'est là une véritable caractéristique saintongeaise qui pourrait presque servir pour cartographier l'aire géographique de la langue. Jhe, je, in jhournau, un journal. Parfois poussée, l'aspiration peut aller jusqu'à la disparition du j: Harnat pour Jarnac, le hau, le jhau, le coq.
On retrouve la même chose pour le g devant e ou i: les ghens, les gens. On écrit parfois indistinctement ghe ou jhe, comme dans le gheneuil ou jheneuil, le genou.
Si au XIXe, on disait plus volontiers j que jh en Pays Gabaye, le jh s’est imposé sur tout le territoire.
Les consonnes mouillées ou palatisée :
Le saintongeais, par nature, n'aime pas les sons durs. Depuis des temps immémoriaux, la plupart des consonnes sont mouillées, et ce "mouillage" (à ne pas confondre avec l'action criminelle qui consiste à couper le vin avec de l'eau, Fi d'garce!) se traduit par l'apparition d'un i intercalé, comme, par exemple dans le quieur ou thieur, le cœur, ou dans quiuré ou thiuré, le curé, ou encore la kieusse ou thieusse, la cuisse.
En bref, c et g sont toujours mouillées avec e et i, ainsi que les groupes consonantiques de type bl, cl, fl, pl…Dau bian qui fiate la goule, du vin blanc bien gouleyant.
Le g, devant le e et le i, est tellement mouillé qu'il disparaît souvent, comme dans la yèpe, la guépe, l'an-yille, l'anguille.
Le d aussi peut être mouillé et disparaître, n'en déplaise au Bon Yeu, le Bon Dieu, qui en garde néanmoins boune fiyure, bonne figure.
Les voyelles nasales saintongeaises :
Le Gabaye, comme le Saintongeais de manière générale, ne fait pas vraiment de différences entre deux sons phonétiquement proches, et ce n’est pas parce que son oreille n’est pas sélective, mais plus vraisemblablement parce qu’il a d’autres difficultés à surmonter sans s’en ajouter
Notre Saintongeais plein de bon sens n’aime pas non plus l’absence de liaison entre les mots, ce qui représente une scission trop marquée pour son oreille, de même que les liaisons trop dures pour son ouïe fine. Il a donc créé ses propres liaisons, qui n’ont aucune justification grammaticale. Elles représentent un confort du parler et de l’écoute.
Le son in: vous-même, sauf à parler très pointu (se dit pour quelqu’un qui parle un français très académique avec la bouche en « cul de poule », et plus générale-ment, les gens d’Île-de-France, ou ceux qui arrivent du nord, sachant que pour un Saintongeais, Poitiers c’est déjà le Grand Nord), faites-vous véritablement la différence entre les sons in et un ? En Saintonge, on ne démarre pas la semaine sur un lundi, mais sur in lindi. En passant en coup de vent chez un ami, ve boérer rin qu’in cot’, vous ne boirez rien qu’un coup. Et si les Huns n’ont pas atteint Saintes, l’Histoire se souvient quand même de thiellés Hins.
Le « i » nasal:il est souvent très proche du é fermé, à moins que ce ne soit le contraire. On entend parfois chin pour chez. Dans ce domaine, le Saintongeais ne sait pas dire même, mais méme, et l’usage a consacré min-me.
Le « an » nasal: le « an » nasal d'an-née, année, s'est perdu en français vers le dix-huitième siècle. Il perdure encore dans le Sud-Ouest et en Saintonge. An-née, gram-maire sont encore ben d'cheu nous. A retenir l'expression tant qu'à la boune an-née, pour exprimer la satiété (voir aussi eit' gueudé, ouillé).
Des liaisons mal-t-à propos ?
Comme on le précisait précédemment, le Gabaye, comme le Saintongeais de manière générale, n’aime pas les liaisons qui l’agressent. Par contre, une autre particularité très saintongeaise est la liaison en n, notamment avec les sons an, in, ouin. Se saquer dans-n-ine palisse, se cacher (avec force et vivacité) dans une haie ; l’estation d’épuration ne sent point-n-a bon, la station d’épuration ne sent pas bon ; in moulin-n-a vent, n-a heule, un moulin à vent, à huile ; ol é ine ure moins-n-in quart, il est une heure moins le quart, à n-in sartain endret', à n-in jhour décit. Il paraît que les Saintongeais et les Grecs ont ce n euphonique en commun
Parfois, le n précède la nasale, mais attention, ce n’est pas en tant qu’adverbe de négation, mais simplement en tant que lettre euphonique : « N’en peux-jhi mé ? », « Qu’est-ce que j’y peux, Est-ce de ma faute ? ».
En Pays Gabaye, on entend aussi le d comme liaison: jh'ai décit à d'in houme, à d-ine fumelle.
Le t, lettre euphonique saintongeaise caractéristique.
Pour A. Dauzat, les lettres en t ou en s se prononçaient en vieux français. On repérait alors phonétiquement le singulier ou le pluriel, comme pour un pot' (dire pott) et des pos (dire poss). Au XVIe siècle le s final ne se prononce plus et on ne fait plus la différence phonétique entre le pluriel et le singulier sinon par la liaison. Mais en Saintonge, l'usage est resté, du moins pour le singulier. In pot’, in fagot', dau brut', du bruit.
Cela ne suffira pas à notre Gabaye, comme au Saintongeais de manière générale, et il se plaît à ajouter des t là où d'ordinaire il n'y en a pas: in émit', un ami, l'ort', l'or, in peurdrit', une perdrix, in frut', un fruit, le feut', le feu, in doryphort (ou doryphorat), un doryphore, et même, l'Oénut', l'ONU.
Le c des finales en ac très méridionales, sont "saintongisées" en remplaçant le c par le t. Ainsi peut-on visiter S'gonzat', Jharnat', Ghémozat', Ruffiat', Rouillat', Cougnat'. Dans cas, la prononciation est douce, presque absente. L'oreille peu exercée pourra entendre jhonza, Cougna…
Il se passe le même phénomène pour les finales en ec, ic, oc, voir uc: in armana', un almanach, in bét', un bec, in rot', un roc, l'arsénit', l'arsenic, jhean Lut', Jean Luc.
Ce t, si ancré dans le saintongeais, va servir de liaison: in groû-t-achet, un gros ver de terre, in vieu-t-abouminab', un vieux répugnant, le gran-t-haïssab', le grand détesté, signe certain.
Si le t est une désinence normale à la troisième personne du singulier, i vat-à la foére de Saintes, il va à la foire de Saintes, notre Saintongeais aime tant son t (comme les Anglais le leur) qu'il devient aussi la désinence de la première et deuxième personne: jhe vas-t-au marché. Il pousse jusqu'à en faire la finale du participe passé: jhe l'ai vut, jhe se rendut, et au baignassout' (le touriste), Seyez le bienvenut'.
Le z euphonique :
On trouve ce z dans deux cas. Pour lui-même d'abord avec le zou très saintongeais: o zou faut, il le faut, o zou dit, on le dit. Mais aussi pour différencier les singuliers et les pluriels du pronom elle :: ol é t-à lé, c'est à elle, ol é t-à z'èles, c'est à elles. Quand le français ne fait aucune différence phonétique entre l'expression au singulier et l'expression au pluriel, le saintongeais le fait. Par analogie: peur li, peur z'eux, pour lui pour eux.
Quelques particularités issues du français ancien.
La langue saintongeaise a parfois su garder des caractères d'origine alors que le français s'est altéré. Et quand certains décrivent notre patois comme du français déformé, ils font preuve d'ignorance. Il y a de nombreux exemples montrant que la forme des mots français est beaucoup plus éloignée du latin d'origine que la langue saintongeaise: le popion saintongeais est plus proche du latin populus, que le peuplier français.
Dau yerre, du lierre, du vieux français, l'ierre.
Fi d'la mère, fi pour fils, comme en vieux français, ce que l'on voit dans ces vers de Racine: Astynax, d'Hector, jeune et malheureux fils / Reste de tant de rois sous Troie ensevelis.
Le î pour ir, finî, finir, courî, courrir, venî, venir. Belloumeau dans son dictionnaire gabaye, notait it pour ir. : finit, courit, venit. Nous préférons le î comme Doussinet. Dans le même esprit, les finales en dre on perdu leur r: défend', comprend'.
Le oè, du vieux français, devenu oi en français moderne, est resté oé en Saintonge: in roé, moé, toé, la loé.
Le a ou ia en final: plus proche du latin vulgaire original, le saintongeais a retenu le a ou ia quand le français à adopté le au ou eau. In batâ, in batia, un bâteau, in coutâ, in coutia, un couteau, ol é bia, c'est beau, dau vin nouvia, du vin nouveau. Dans le Dictionnaire du Patois Saintongeais, on trouve ce petit dialogue, quelques peu réécrit par nos soins:"Qu'est-o donc, Cher Père, qu'in batia? –ar'en (regardes) in batia! Ol é fait coume in bot, o y a tine parche en mitan, ine gueille (bout de tissu, la voile, donc) au bout', apré o vat ». Jonain y voit là la description de nos fameuses gabarres. Notons qu’en gabaye, la a ou iâ et parfois remplacé par é, couté, baté, bé.
Le « eur » en lieu et place de « re »: on dit le saintongeais lambinous, cagouillard pure race, car il met parfois du temps à se décider. Et dans notre cas il aura fallu sept cents ans avant que l'usage ne consacre eur à la place de re, ou de ro… Ainsi va la vie en Saintonge, Monsieu l'peurzident. On teurpe, on piétine, devant in feurmit', une fourmi, on manghe dau feurmajhe de bique, on mange du fromage de chèvre, tot thieu, ol é pas peur daus peurnes, tout cela, ce n'est pas pour des prunes. Pour simplifier encore plus, on remplacer le eu par ’. Ainsi, on écrira t’rper, f’rmit, f’rmajhe, p’rne, etc.
Le a devant r au lieu de e: le français moderne a consacré le e devant le r, notre parler a lui conservé le a du vieux français: in éparvier, un épervier, ine asparghe, une asperge, in sarcueil, un cercueil, ine sarpe, une serpe, ine sarpillère, une serpillère, bien que l'on préfère passer la since, ine jhearbe, une gerbe, dau garet, terre ameublie. Et pourtant, In Chérentais!
Le ou pour o: si en parlant pointu, on ose des choses, cheu nouzaut' on ouse daus chouses, o cougne, grou, routie, oussitou, in houm, moument, ine poume, boune, ine peursoune, in Ouvergnat'.
Peut être par esprit de contradiction, quand le français moderne a opté pour le ou, le saintongeais a gardé le o: in borgoés, ine baurique, ine dozaine, ine fornée, in jhornau…
Utilisation particulière de certaines lettres euphoniques.
Comme vu précédemment, il n’y a pas de fausses liaisons en saintongeais, mais on cherche à éviter tout hiatus dans la prononciation. Ainsi les lettres d, l, n, t, z n’ont aucune fonction grammaticale, mais apparaissent pour rompre la dureté du vide entre deux mots. Quelques exemples :
- d, Il é-t-arroutiné à d-in travail, il est habitué à un travail,
- l, Jh’trouons pus reun à l-ajheter, Nous ne trouvons plus rien à acheter,
- n, Si tu n-en veus, prends n-en, Si tu en veux, prends-en.
- t, Jh’allons t-à Blaye, Nous allons à Blaye.