Quand on parcourt les ouvrages anciens, comme ceux de Jonain, de Doussinet, de Dauzat, parfois quelques-uns plus récents, on rencontre un descriptif passionnant de variantes de la langue attachées à des aires géographiques, parfois à l'échelle d'un canton, voire même à l'échelle d'une commune. On peut l'admettre pour Jonain qui décrit son époque, la fin du XIXe, on peut le tolérer aussi pour Doussinnet qui fait référence à la première moitié du XXe siècle, époques, pendant lesquelles, les populations ne variaient guère, les hommes ne voyageaient que pour faire leur service militaire. Dans ce contexte, les particularités linguistiques restaient marquées.
Aujourd'hui, le nombre de locuteurs utilisant l'idiome a fortement diminué, les populations se sont croisées intra-aires linguistiques, mais aussi interzones linguistiques. D'autre part, le développement de la scolarisation, l'arrivée des techniques modernes de communication, télégraphe et téléphone, puis radio et télévision, et enfin Internet, fait que l'idiome s'est resserré autour d'une forme plus commune, en lissant les particularités régionales. On peut citer l'exemple du Gabaye, dans lequel le th (chieu) n'existait pas dans sa partie ouest, et qui maintenant a souvent remplacé ses que, quel, iqui, par thieu, thiélé et ithi comme dans presque toute la Saintonge.
L'alphabet saintongeais ne semble pas se distinguer, du moins à première vue, de l'alphabet français. Nous n'insisterons donc pas sur ce point.
Nous adoptons volontairement dans ce contexte que des formes que nous pensons communes aujourd'hui. Si cela représente une diminution des typicités, et donc un appauvrissement, cette "simplification" peut aussi être un atout dans la sauvegarde et voir un nouveau développement de la langue saintongeaise et gabaye.
Pour la graphie, une difficulté se présente, car, comme d'autres l'ont dit avant nous, le saintongeais, donc le gabaye, est une langue rurale, qui a été faite pour l'oreille et non pour la main. C'est la tradition orale qui l'a façonnée et non l'écriture, ce qui n'empêche pas l'existence de nombreux textes, des plus anciens aux plus modernes. Nous verrons pourquoi nous ne retenons pas la tentative de graphie normalisée, et comment, finalement, nous adoptons quelques règles simples de graphie, celles qui font consensus chez les auteurs et dans la pratique quotidienne. Quand, il n'y a pas consensus, nous avons pris le parti de trancher, l'usage nous donnera tort ou raison.
S’il existe de nombreux écrits, et ce, depuis au moins le XIIe siècle, le Saintongeais reste une langue surtout parlée : elle est faite pour l’oreille, pas pour l’œil. Néanmoins, pour quelque idiome que ce soit, l’écriture est nécessaire, avec des règles ou des conventions afin que le message de celui qui écrit soit compris par celui qui le reçoit.
Contrairement au provençal, par exemple, qui possède une norme reconnue à travers la graphie mistralienne vieille de plus d’un siècle et mise en œuvre par Frédérique Mistral, il n’existe pas pour le Saintongeais de normes reconnues. Cela n’a pas pour autant empêché les auteurs « patoisants » d’écrire et d’être compris.
Il y a eu une tentative de normalisation, ces dernières années, qui s’avère être assez opaque pour être incomprise par à peu près tout le monde. Nous y reviendrons.
La position dominante du latin d’abord, puis celle du français, a laissé peu de place à l’apparition d’une véritable écriture saintongeaise. D’autre part, les pratiques sociales au cours des siècles étaient celles d’un monde rural où l’alphabétisation et les possibilités d’enseignement de l’idiome de manière institutionnelle étaient totalement inexistantes. Les auteurs, au cours du temps, ont utilisé une graphie française plus quelques particularités ajoutées çà et là.
On peut constater que l’on parle de graphie et pas encore d’orthographe, car il convient, à ce stade, d’adapter un système graphique simple, compris et admis avant toute tentative d’adoption d’un futur système orthographique qui pourrait s’avérer compliqué compte tenu des particularités locales. Chaque chose en son temps !
Avant d'aborder une graphie proprement dite, nous avons essayé d’adopter un système d'écriture rappelant le plus possible la phonétique, ainsi que des conventions adoptées par la quasi-totalité des auteurs. De même, nous nous devons d'aborder la tentative de normalisation, car même décriée, elle a au moins le mérite d'exister. L'objectif à terme sera de voir diminuer le nombre de publications ou se mêle graphie française et méli-mélo saintongeais, ou dans laquelle on saupoudre des signes issus de la graphie dite normalisée, voir un mélange de tout, ce qui a pour résultat une grande confusion.
Il est fort probable que ce parti pris sera critiqué, c’est bien normal. Que ces critiques enrichissent le débat, il en sortira forcément du positif.
Un premier essai a été fait en 1973 dans un ouvrage de Jacques Duguet, publié par la Société d'Etudes Folkloriques du Centre-Ouest dans une "…perspective de réhabilitation, d'uniformisation et de restructuration de l'idiome indigène."
Avant d’aller plus outre, et pour que ce qui suit ne fasse pas (trop) polémique, citons Eric Nowak dans la postface du Dictionnaire Gabaye de Belloumeau publié en 2022 : « Appelons cet ensemble linguistique comme on voudra : d’entre Loire et Gironde, poitevin et saintongeais, poitevin-saintongeais… Ce dernier mot étant pris ici sans référence à une quelconque tentative de normalisation orthographique ou linguistique, mais compris dans son sens premier ‘d’ensemble linguistique réunissant le poitevin et le saintongeais ». »
En 1986, la région administrative Poitou-Charentes est créée. De là, sans doute, naît une confusion, car de cette création régionale administrative arbitraire apparaît l'idée d'une langue dite "poitevine-saintongeaise", regroupant par un fâcheux trait d'union, l'idiome poitevin et l'idiome saintongeais. Cette création administrative arrivait trois ans après que l'Université de Poitiers ait ouvert une "unité de valeur libre" de poitevin-saintongeais.
La graphie "poitevine-saintongeaise" repose sur des présupposés et des objectifs très différents de ceux qui souhaitent une graphie simple et consensuelle du saintongeais. Pour certains défenseurs du système "poitevin-saintongeais", le saintongeais n'est considéré que comme un dialecte du "poitevin-saintongeais » et la graphie en découlant se veut savante, unificatrice et normative, et se trouve de fait décalée avec la langue parlée.
On a mis des patoisants reconnus pour la bonne pratique de leur langue devant des textes écrits selon la graphie normalisée "poitevine-saintongeaise". Ils n'ont pas reconnu leur langue, et pire, n'ont pu réellement comprendre les textes. Par exemple, le saintongeais devient séntunjhaes. On peut méditer à loisir sur la phrase suivante "Le poetevin-séntunjhaes ét de l'aeràie daus parlanjhes d'oéll, mé le cote l'aeràie de çhélés d'o".
Il semble que cette graphie traduit plus la volonté militante d'imposer une langue fictive sur un territoire administratif, notamment chez certains intellectuels. Outre sa difficulté, elle est sous-tendue par une vision d'une langue et un projet d'actions qui ne sont pas partagés par la population saintongeaise en général. La militance poitevine-saintongeaise semble vouloir rivaliser avec les aspects dominants du français, à partir d'une construction artificielle et non des parlers hérités. En paraphrasant le provençal Philippe Blanchet, la population locale souhaite une complémentarité entre la langue véhiculaire qu'elle s'est appropriée et sa langue vernaculaire d'origine porteuse d'une convivialité d'origine.
Un article de P.Sauzet sur l'occitan pourrait avoir été écrit pour le poitevin-saintongeais: "Il faut penser à ce que la graphie est opaque, savante. La graphie (…) tend vers la norme (…). L'obstacle est double: Il rend la reconnaissance par les usagers naturels difficile, il rend la restitution des formes lues par les non-locuteurs aléatoire(…). Il faudra parfois renoncer pour passer".
Il faut garder à l'esprit qu'un choix de graphie n'est pas simplement technique. Il doit s'inscrire dans toute une vision de la langue, de ses pratiques, de sa promotion et de la société.Tout ceci dit, cette tentative a, au moins, le mérite d’exister. Pour conclure ce paragraphe, citons à nouveau Eric Nowak : « D’où le rejet compréhensible, voir justifié (c’est une question de choix), de l’orthographe normalisée du poitevin-saintongeais, mais qui ne saurait aller jusqu’à un rejet de la notion de poitevin-saintongeais qui elle est bien étayée, et qui lorsqu’elle est rejetée, ne l’est qu’à la faveur d’un amalgame entre langue et orthographe (ce qui est une erreur). Pour dire simple, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain ! »
Le système graphique saintongeais et gabaye courant est le prolongement de la tendance majeure de l'écrit saintongeais depuis ses origines, qui est aussi celui d'autres langues romanes, exception faite du français. Il entérine une dominante phonétique, c'est-à-dire qu'en général on écrit comme on prononce. On accentue dans cette dominante phonétique des sons fondamentaux ou typiques d'une forme locale.
Le système est adapté à une langue à usage majoritairement oral, à fort enracinement local et s'opposant à une demande normative. Il implique le sentiment d'une identité spécifique.
En tout cas, pour lire et écrire le gabaye, il existe maintenant une base consensuelle.